Samedi 25 octobre à 18h, rencontre avec Hélène Fréderick animée par Jeanne Bacharach.
Si les deux derniers romans d’Hélène Frédérick, Forêt contraire et La Nuit sauve, se déroulaient dans son pays natal, le Québec, et soulevaient des questionnements intimes à deux âges de la vie, ce nouveau livre est directement lié à la profession qu’elle exerce aujourd’hui en France : correctrice de presse. En 2018, elle a en effet intégré l’équipe d’un magazine en tant que « rédactrice-réviseuse à la pige ». C’est en partant de ce travail appris sur le tas qu’elle a décidé d’y porter un regard documentaire. « Nourrissonnée » par Jean, il lui a d’abord fallu se familiariser avec la chasse aux coquilles et un vocabulaire empreint d’argot dont elle nous fait partager la saveur, mais aussi découvrir le fonctionnement du cassetin et ses minutieux rituels.
Un curieux paradoxe ne tarde pas à apparaître : à mesure que la narratrice met en lumière une foule de savoir-faire, nous découvrons que cette corporation est menacée de disparition. S’il s’agit bien d’un récit d’apprentissage et de transmission, c’est celui d’un métier intermittent et qu’on ne choisit jamais vraiment. En interrogeant les plus chevronné(e)s de ses collègues ou en se plongeant dans des ouvrages traitant du sujet, elle s’étonne des affinités de longue date qui unissent les correcteur(trice)s et ouvriers typographes avec les milieux anarchistes. D’où l’envie de ranimer certaines figures, souvent féminines, héritières de la Belle Époque libertaire, dont Rirette Maîtrejean, emprisonnée comme complice de « la bande à Bonnot », ou May Piqueray, amie d’Emma Goldman. Hélène Frédérick s’inscrit dans le même type de parcours précaire : ex-libraire, lectrice dans l’édition et écrivaine à temps partiel. Au terme de cette généalogie des « en-dehors » ayant choisi ce travail pour son érudite liberté, elle fait un bilan contrasté sur les perspectives de ces petites mains vouées à rester dans l’ombre.
Aux brefs chapitres constituant le panorama détaillé d’une confrérie méconnue, Hélène Frédérick a adjoint une ligne narrative nous ramenant à son enfance rurale au Québec. Un autre « passeur » s’en détache, son père électromécanicien, remettant en état, dans le capharnaüm de son atelier, des moteurs électriques défectueux. Quel rapport avec le métier actuel de sa fille ? Un destin d’autodidacte se découvrant un goût pour les menues incorrections de la langue ou des « bobines cramées d’un stator ». Une passion pour la réparation des outils ou la préparation de copie, une attention aux pannes techniques et aux « lézardes » typographiques. Cette mise en regard permet à l’autrice d’interroger les arcanes de sa pratique d’écriture, écartelée entre l’introspection sensible et les contraintes de la syntaxe réglementaire, impersonnelle.
Entre enquête documentaire, autoportrait d’une femme au travail et hommage au père artisan, Hélène Frédérick entremêle au « je » et au « tu » plusieurs points de vue, sociopolitique et existentiel, contemporain et mémoriel. Elle redonne ses lettres de noblesse à des compétences, des exigences, mais aussi des marges de liberté mises en péril par une standardisation sans faille, afin d’y cultiver des espaces clandestins de désir et de poésie.
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