Patrice Trigano : Je ne me sens moi-même qu’en présence d’artistes !
« Celui qui ne lit pas aura vécu une seule vie. Celui qui lit aura vécu 5 000 ans. La lecture est une immortalité en sens inverse » phrase magnifique d’Umberto Eco citée dans la préface du quatorzième livre de Patrice Trigano : « La Promesse de l’art » paru aux Éditions du Canoë. Un livre de 600 pages (et photos) où « le héros du livre, n’est pas lui, dit-il, mais les artistes ». Les artistes qu’il a exposé - César, Mathieu, Matta, Hartung, Zao Wou-Ki, Richier, Hélion… 300 au total ! - mais aussi et surtout qu’il a vu vivre. Le héros n’est pas lui, certes, mais le personnage romanesque est quand même lui, ce jeune homme qui fut cloué au lit pendant un an à cause d’une grave maladie. Ce jeune homme, enfant unique d’une famille juive intellectuellement curieuse (un pléonasme), dont l’un des ainés lui offrit son premier choc esthétique en l’emmenant voir Les Contes d’Hoffmann, et qui fut le début d’une première passion pour l’opéra… Au moment de sa maladie, ce sont les livres qui sont devenus ses compagnons, ouvrant un champs illimité, une nourriture spirituelle à cet esprit insatiable qui saisit très jeune que la Création est le Lieu, l’endroit, où se concentre la Vie de la plus passionnante façon. De la plus addictive aussi. Une vie dans l’art, une vie avec l’art s’initia à ce moment-là, jusqu’à cette lettre adressée à Magritte depuis son lit de souffrance auquel le Maitre (Dieu en quelque sorte) répondit, ce qui représenta pour le futur « passeur de sensibilités » une Promesse : La Promesse de l’art.
Titre en hommage au tableau de Magritte, La Promesse, une colombe qui prend la couleur des nuages, oeuvre de 1950 qui figure en couverture de cet ouvrage fait de la densité d’une vie, et de celles qui l’ont traversée. Celle de Maurice Rheims, celle de Pierre Restany, les premiers guides, celle des artistes et de ces anecdotes de vie qu’il fallait raconter pour laisser une trace au-delà des oeuvres. Une trace qui dit la singularité de ce qu’est un artiste, son extra-lucidité, ses démons, ses fulgurances, sa poésie. Un livre qui raconte aussi les mille vies de Patrice Trigano, expert, galeriste (un demi siècle), collectionneur, éditeur, homme de théâtre, écrivain et joueur de guitare à ses heures quand il rejoint son sud, sa Villa de Saint-Tropez et sa cabane dans le fond du jardin, où il écrit du matin au soir, retrouvant ce Lieu à soi, d’où sortira un quinzième livre consacré à Georges Bataille, tant ce qui est subversif captive cet homme aux propos mesurés, réfléchis, prudent presque dont l’audace se révèle avec l’Envie, cette envie qu’il pourrait écrire aussi en deux mots : L’En-Vie.
En vie il l’est, en création et en observation constante du monde de l’art et de ses mouvements. Ses avant-gardes, concluant que quand « une avant-garde apparait, elle est souvent reléguée par un autre avant-garde »… Son mouvement préféré est sans doute le sur-réalisme parce qu’il s’origine du rêve, de l’inconscient, du désir, de la révolte et de l’Amour. Des mots chers à son coeur. Des recoins, mieux des refuges, dans un monde en manque cruel de folie créative, de merveilleux et de désintérêt. Citant Marcel Duchamp, il revient sur les deux pôles d’une oeuvre : « il y a le pôle de celui qui fait une oeuvre et le pôle de celui qui la regarde. Je donne à celui qui la regarde autant d’importance qu’à celui qui la fait ».
Puissiez-vous lecteur, accueillir cette promesse.
Agnès Bouquet
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